Saturday, 27 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1285

Robert Solé

‘Régulièrement, des lecteurs s´étonnent de ne pas trouver dans Le Monde une information qu´ils ont entendue la veille à la radio. N´est-ce pas le rôle d´un quotidien de rendre compte de l´actualité ? Certes. Encore faut-il être en mesure de le faire.

Journal de l´après-midi, Le Monde ‘boucle’ ses pages à 10 heures du matin. La plupart des lecteurs de province ou de l´étranger ne le reçoivent que le lendemain. C´est dire qu´un événement survenu par exemple un mardi en fin de matinée, alors que les rotatives tournent déjà, ne figurera que dans le journal du mercredi et ne sera lu à Brest ou à Perpignan que le jeudi matin.

Le décalage est encore plus flagrant dans le numéro du week-end : imprimé le samedi, il n´est reçu par certains abonnés que le surlendemain. L´un d´eux, Francis Delporte, de Lécousse (Ille-et-Vilaine), nous écrivait en avril : ‘Dans l´édition datée dimanche 17 lundi 18, à la rubrique Tennis, vous vous étendez longuement sur le quart de finale remporté par Richard Gasquet au tournoi de Monte Carlo, alors que je sais depuis samedi soir qu´il a perdu en demi-finale et que la finale a été remportée par Rafael Nadal. Il me paraît souhaitable que Le Monde se donne les moyens de coller davantage à l´actualité.’

C´est, à vrai dire, le souci permanent des rédacteurs du journal. Non seulement ils ne veulent pas être en retard sur leurs confrères, mais ils cherchent autant que possible à les devancer. Soit en allant au-devant de l´information par des enquêtes, soit en consacrant des avant-papiers à des événements prévisibles. Ce dernier exercice énerve parfois les lecteurs. ‘Vous êtes les rois du conditionnel !’ , s´exclame Gérard Bousquet (Strasbourg).

Le conseil des ministres, qui se tient le mercredi et ne se termine pas avant midi, donne lieu chaque semaine à des acrobaties stylistiques. Réussissant à savoir à l´avance ce qui y sera annoncé, Le Monde l´écrit sur un mode conditionnel, car des changements peuvent intervenir au dernier moment. Un lecteur internaute, Jean Trimbour, déplorait il y a quelques semaines ‘une légère répétition’ dans l´un de ces comptes-rendus : sur 700 mots à peine, le verbe ‘devait’ figurait 15 fois. ‘Cela, remarquait-il, perturbe le sens de votre article, au demeurant fort intéressant : M. Chirac devait-il le dire, pour ne pas le dire en fin de compte ? Ou l´a-t-il bien dit ?’

Le lecteur reste souvent sur un petit doute, car on ne republie pas le même article le lendemain en remplaçant tous les ‘devait’ par des passés composés… Effet pervers de cette course de vitesse : les événements sont traités à l´avance comme s´ils avaient eu lieu, mais sont passés sous silence après avoir eu lieu.

Le 19 décembre 1944, présentant aux lecteurs le premier numéro du Monde, Hubert Beuve-Méry leur promettait ‘des informations claires, vraies et, dans toute la mesure du possible, rapides, complètes’ . Dans toute la mesure du possible… La rapidité ne saurait prendre le pas sur l´exactitude. Un retard est toujours plus excusable qu´une erreur. Si l´anticipation est une qualité journalistique, elle ne signifie pas devancer la musique, et encore moins parier sur l´événement.

LES informations ne cessent d´augmenter. Parce que les techniques de transmission s´améliorent, parce que de nouveaux champs d´intérêt (comme l´écologie, l´informatique ou la bioéthique) se développent et parce que tout le monde – partis, Eglises, entreprises ou particuliers – s´est mis à ‘communiquer’ . Il devient de plus en plus difficile de choisir chaque jour, dans cette montagne de dépêches, ce qui mérite d´être publié.

Les lecteurs sont en droit de protester quand une information d´une certaine importance, datant de la veille, ne figure pas dans Le Monde. Le manque de place n´est pas un argument recevable : l´essentiel peut être dit en quelques lignes, quitte à y revenir le lendemain, plus en détail.

‘Ayez à l´esprit que tous vos abonnés ont fait une croix sur les scoops puisqu´ils ne reçoivent votre journal que le lendemain de sa parution et qu´ils ont en général radio, télévision et souvent Internet, écrit Jean-Claude Maroselli (Aix-en-Provence). Donnez leur, fût-ce au prix d´un retard supplémentaire de 24 heures, l´information et non la nouvelle, mais complète et accompagnée de la documentation indispensable à sa compréhension et sa crédibilité.’

Anne Zind (Paris) attend, elle aussi, du Monde une valeur ajoutée : ‘Faites des articles moins plats qui ne soient pas du délayage de dépêches d´agence. Vos journalistes devraient mettre en relation les phénomènes sociaux, culturels, politiques ou économiques, en expliquer les mécanismes, en rappeler la genèse, au lieu de les supposer connus.’

Paul Péronnet (Vichy) formule une autre revendication : ‘Le bon peuple des lecteurs vous sait gré de l´informer régulièrement de l´actualité. Mais il serait tout autant reconnaissant, une fois les événements passés, d´être tenu informé de leur suite. Que sont devenues, par exemple, les victimes du séisme dévastateur de Bam, en Iran ? Ont-elles effectivement reçu toutes les aides promises ? Les journalistes ont aussi le devoir d´entretenir la mémoire.’

Ou, pour dire les choses autrement, le devoir de ne pas abandonner un événement en chemin. Il est souvent nécessaire de revenir ‘à froid’ , au bout de plusieurs semaines ou plusieurs mois, sur un fait dont on avait beaucoup parlé. Ces reportages ou enquêtes font partie du suivi de l´information, sachant que celle-ci ne se limite pas à l´instant, mais se conjugue au passé, au présent et au futur.

Dans une précédente chronique, j´écrivais : ‘L´actualité est ainsi faite qu´il faut parfois un incendie pour que l´on découvre ce qui a brûlé.’ Cette phrase a fait réagir Benjamin Caillard, un lecteur de Tokyo (Japon), qui voudrait que Le Monde ‘décèle la fumée avant que des incendies ne se propagent et brûlent tout’ . Concrètement, il réclame ‘des articles de fond, sur des sujets pas ou peu abordés ailleurs’ . Reprenant la métaphore, il ajoute : ‘Si Le Monde veut découvrir une forêt avant qu´elle ne brûle, il devrait par exemple s´interroger en profondeur sur l´absence de croissance en Europe : est-ce réellement un mal ? N´est-ce pas au contraire une chance pour l´environnement ? L´Europe ne peut-elle devenir précurseur d´une croissance raisonnable ?’

Résumons. Certains lecteurs insistent sur une information rapide, à laquelle ils ont droit ; d´autres, sur une approche plus distanciée et plus approfondie de l´actualité ; d´autres encore sur le suivi des événements ou sur la mise au jour de faits porteurs d´avenir. Ce sont des exigences différentes, mais pas forcément contradictoires. Elles supposent un journal à plusieurs temps, que la nouvelle formule du Monde, en préparation, cherchera à réaliser.

Ivan Konen, de Voinsles (Seine-et-Marne), remarque avec humour : ‘Les lecteurs sont difficiles : ils demandent et l´objectivité engagée et l´engagement objectif. Ils veulent le réel et ils veulent le changer. Ils veulent une presse d´investigation mais pas une presse à scandales, un Monde engagé mais non partisan. Pas trop long à lire, et pourtant complet et parlant de tout. Nous voulons un Monde à notre image, et en même temps nous le lui reprochons. Bon courage cher Monde !’’