Saturday, 27 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1285

Robert Solé

‘Les lecteurs du Monde ne sont pas de purs esprits. Ils cuisinent, jardinent, voyagent, font du sport, conduisent leur voiture… La circulation routière les inspire particulièrement, si j´en juge par le courrier reçu ces derniers mois. On n´y trouve pas seulement des points de vue, mais des propositions très concrètes pour rouler en sécurité, mieux préserver l´environnement ou. .. échapper au gendarme.

L´ébriété au volant n´appelle-t-elle pas des mesures originales ? Jean-Claude Janet, de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), demande ‘pourquoi les lieux où l´on consomme des boissons alcoolisées ne seraient pas pourvus, comme au Canada, d´appareils permettant au client de connaître précisément le taux d´alcool dans son sang avant de reprendre la route’. Après tout, on vérifie bien le niveau d´huile dans son moteur ou la quantité de carburant.

Roger Boudy (courriel) réclame une voiture intelligente. Celle-ci ‘ne démarrerait que si le taux d´alcoolémie du chauffeur est correct, elle respecterait les limitations de vitesse et ne permettrait de téléphoner que le moteur arrêté’. Reste à l´inventer, mais en ce début de troisième millénaire M. Boudy ne doute pas de ‘la créativité des ingénieurs et des techniciens’.

Ce sont les tableaux de bord que François de Gaudemont (courriel) voudrait voir modifiés, ou du moins complétés. Chacun sait qu´un véhicule roulant à une vitesse donnée (en km/h) met tant de mètres pour s´arrêter sur tel type de chaussée, par temps de pluie, etc. ‘Pourquoi ne pas imposer aux constructeurs d´indiquer les vitesses en km/h (comme aujourd´hui), mais également en mètres/seconde ? Ainsi, roulant à 110 km/h, un automobiliste saurait qu´il parcourt environ 31 m/s : si un obstacle apparaît brusquement à 20 mètres de la voiture, sachant qu´il lui faut au minimum 1/2 seconde pour réagir (soit une distance de 15,50 m), il lui reste 15,50 m pour s´arrêter. Ce qui est strictement impossible s´il roule à 31 m/s (ou 110 km/h).’

J´ai peur ce soit un peu compliqué, mais M. de Gaudemont est ‘certain que les constructeurs sauraient, grâce à leur batterie de stylistes, ingénieurs ergonomes et spécialistes graphiques, intégrer harmonieusement ces données sur un compteur’.

Le Monde est accusé par plusieurs lecteurs de favoriser l´automobile au détriment des transports publics. Fallait-il s´extasier, à la veille de Noël, sur le viaduc de Millau ? Publier, à l´occasion du Mondial 2004, un supplément intitulé ‘La voiture devenue complice’? ‘De quoi Le Monde est-il complice ?’, demande Marie Tholomier (Paris). Et pourquoi offrir au gagnant d´un concours organisé avec RTL un 4 × 4 Toyota Rav 4, ‘ce genre de monstre débile avec lequel on peut frimer sur les trottoirs de nos villes’ ?, demande Gérard Roy, de Grande-Rivère (Jura).

On l´aura deviné : une partie des lecteurs est farouchement opposée aux 4 × 4. ‘Un caprice de plus, dans une société d´enfants gâtés’, estime Pierre Lemarie, d´Ifs (Calvados), avant d´énumérer toutes les nuisances de l´automobile en général.

ANDRÉ KLARSFELD (Paris) nous apporte un témoignage : ‘Le 7 juin 2004, ma fille a été projetée sur le trottoir par un 4 × 4, alors qu´elle finissait de traverser la chaussée. Le conducteur a dit ensuite ne s´être aperçu de rien. On le croit volontiers : le poids et l´encombrement du mastodonte, ainsi que la hauteur de vue dont bénéficient ses occupants, tout concourt à en faire une bulle étanche et blindée, totalement isolée des autres usagers de la route.’ M. Klarsfeld se garde de généraliser : ‘Tous les acheteurs de 4 × 4 ne sont pas des beaufs qui veulent étaler leur puissance, financière ou autre. Beaucoup d´entre eux veulent avant tout se protéger, eux-mêmes et leur famille, quand ils parcourent nos jungles urbaines. Mais, ce faisant, ils renforcent la loi de la jungle…’ La solution ? ‘Limiter l´utilisation du 4 × 4 en ville.’

Pour défendre ses idées, le meilleur moyen est encore de les mettre en pratique. C´est ce que fait Philippe Desmet, de Villenoy (Seine-et-Marne). ‘J´ai 32 ans. Je suis professeur d´éducation physique et sportive au lycée professionnel de Claye-Souilly. Depuis la rentrée scolaire, j´utilise mon vélo comme moyen de locomotion pour me rendre au lycée.’ Il ne passe pas inaperçu. ‘L´utilisation d´un véhicule ‘totalement propre’ me permet d´aborder avec des élèves de plus en plus sédentaires des sujets tels que l´alimentation, le tabac, le goût de l´effort, la sécurité routière.’

Mais l´utilisation quotidienne d´un vélo implique des frais, souligne notre enseignant-cycliste : matériel, vêtements, équipements de sécurité, etc. Pourquoi l´Etat n´en tiendrait-il pas compte dans sa politique de défense de l´environnement ? ‘La déduction fiscale d´une partie de ces frais encouragerait beaucoup de Français à modifier leurs comportements.’

L´installation de radars délivrant automatiquement des contraventions pour excès de vitesse a contribué à réduire le nombre d´accidents et de victimes en France (5 250 tués en 2004, contre 5 732 en 2003 et 7 242 en 2002). Elle fait cependant couler beaucoup d´encre. Philippe Celton, des Sables-d´Olonne (Vendée), adresse un conseil à tous les lecteurs motorisés du Monde : ‘Faites vérifier le compteur kilométrique de votre véhicule ! Récemment, au Mans, un contrôle de vitesse était annoncé par un panneau lumineux. Mon compteur m´annonçait 50 km/h alors que le panneau donnait 53 km/h. Je vous laisse imaginer ce qui se serait passé en cas de radar automatique !’ Suivent quelques phrases assez rudes sur ‘ces rackets étatiques exercés sous de fallacieux prétextes’.

Une lectrice de Nantes, Frédérique Soulard, a reçu une liste à faire circuler sur Internet : celle de l´emplacement des radars sur les routes de France. Qu´on ne compte pas sur elle pour la diffuser ! ‘Je trouve, écrit-elle, que les gens roulent comme des fous, comme des assassins qui s´ignorent. En outre, plus ils vont vite, plus ils polluent et font du bruit. L´ambiance de Nantes ‘ville de province’ a changé : on y conduit comme à Paris ! J´aimerais bien qu´il y ait un radar dans ma rue, j´aurais moins peur en envoyant ma fille faire des courses !’

Elle peut compter sur un allié en la personne d´Alban Cordier. Ce lecteur parisien demande que les feux tricolores, en agglomération, soient équipés de radars. Les automobilistes qui passeraient au rouge ou à l´orange s´en trouveraient aussitôt sanctionnés, sans contestation possible et sans passe-droits.

Faut-il verbaliser ou sensibiliser ? François de Gaudemont (courriel), qui doit avoir de bonnes archives, a retrouvé une lettre du cardinal Marty publiée dans Le Monde du 27 juin 1972. Elle était intitulée ‘Tenir un volant est aussi sérieux qu´utiliser un bistouri’. L´ancien archevêque de Paris y invitait ses concitoyens à respecter le code de la route, non par peur du gendarme, mais ‘par amour de ceux qui sont avec eux et autour d´eux’.

Un cruel hasard a voulu que le cardinal Marty soit tué, le 16 février 1994, à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), lors d´une collision entre un autorail et la 2 CV qu´il conduisait. Celle-ci s´était immobilisée, pour une raison inconnue, sur un passage à niveau avant d´être happée par le train.

Cela n´enlève rien à l´intérêt de ses réflexions de 1972. M. de Gaudemont me demande : ‘Serait-ce une idée saugrenue, voire stupide, de vous suggérer, avec dix-huit ans d´avance, de retenir ce texte pour votre rubrique ‘Il y a 50 ans dans Le Monde’ ?’

Nous essaierons de nous en souvenir en 2022, si les automobiles existent encore…’