Saturday, 04 de May de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1286

Robert Solé

‘Une enveloppe épaisse, postée en Bretagne. Dedans, une simple carte, collée sur une planchette. ‘Monsieur le médiateur, écrit Henri Néron (Brest), je vous envoie ma plinthe. Si vous ne la trouvez pas crédible, je n’en ferai pas un monde et ne saurai m’en plaindre. Veuillez agréer…’

Faut-il y voir une allusion aux fautes d’orthographe ou de syntaxe qui choquent tant de lecteurs ? Les protestataires prennent rarement de tels détours pour exprimer leur consternation.

Certains se focalisent sur un mot précis, une faute récurrente, qui gâche leur lecture quotidienne. On dirait presque qu’ils la guettent… Je pense par exemple à E. Angebault, de Craponne (Rhône), qui a relevé depuis un an dans Le Monde 57 emplois incorrects du verbe ‘enjoindre’. Il a beau écrire au médiateur, s’adresser aux auteurs, tancer ‘les récidivistes’, rien n’y fait : Jacques Chirac continue d’enjoindre le gouvernement, au lieu d’enjoindre au gouvernement…

Maud Sissung (Paris), elle, a engagé ‘une croisade’ pour un accent circonflexe. ‘Le Monde ne fait plus la différence entre tache et tâche’, se désolait-elle dans un courrier du 29 décembre 2001. Elle n’a cessé depuis lors de dénoncer ‘ce fléau’.

Relevant, pour la énième fois, une confusion entre ‘repère’ et ‘repaire’, Michel-Igor Gourévitch (Montpellier), s’énerve : ‘La publication de votre ‘Livre de style’ a peut-être permis de sensibiliser les lecteurs à des fautes de français, mais certainement pas les journalistes.’

C’est à propos d’une autre confusion, encore plus fréquente (entre ‘censé’ et sensé’), que Michel Roussel (Paris) nous écrit : ‘Sans être un fanatique de l’orthographe et encore moins un cuistre, je souhaite que Le Monde contribue à maintenir le sens des mots et les nuances de la langue ; c’est aussi un devoir envers vos lecteurs plus jeunes que moi.’

Michèle Guerra, d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), en parle en connaissance de cause. Enseignante en marketing (mercatique, pour les puristes), elle se bat à longueur d’année pour que ses étudiants parlent et écrivent correctement. ‘Je lis Le Monde depuis vingt-cinq ans, précise-t-elle, et j’y trouve toujours ce que j’aime : de l’analyse, des opinions, des articles sur des sujets inattendus, bref, la bouffée d’air quotidienne ! Alors, vous imaginez ma déception, voire ma tristesse, quand je vois mon journal favori entaché de fautes d’orthographe et de grammaire.’

Il est plus rare que des jeunes nous écrivent à ce propos. Voici pourtant le courriel de Cédric Bertrand, lecteur parisien de 23 ans : ‘La forme d’un texte importe autant que le fond. Le Monde du 4 mai indiquait que certaines entreprises imposent des formations à leurs collaborateurs qui commettent des erreurs de participe ou de conjugaison. Pourquoi ne pas faire appel à celles-ci pour vos journalistes ?’

Naturellement, les correcteurs font tout ce qu’ils peuvent pour éviter des fautes. Mais, même en première page, des énormités peuvent se glisser au milieu de la matinée, dans le branle-bas qui marque le bouclage du journal. Janine Faure (Paris) n’a pas été la seule à découper et renvoyer un appel de ‘une’, dans Le Monde daté 2-3 avril, où on lisait avec effroi : ‘Quand un élu ou un ministre donne des informations à un journaliste, tout ses propos ne sont pas destinés à être publié.’

Ici, les ‘s’ manquaient. Mais Philippe Baude (courriel) attire mon attention sur l’usage abusif et désordonné du pluriel. Pourquoi écrire ‘aux fins d’interrogatoires’ ? A quoi riment les ‘prises de positions’ (ailleurs qu’à la guerre, sur le front) ? Et que nous apporte ce ronflant ‘contrairement aux attentes’, alors que ‘contrairement à l’attente’ était bien suffisant ? Notre lecteur se demande si l’on n’en viendra pas, contre toutes attentes, à patienter en salle d’attentes, dans les attentes d’un heureux événement…

Au-delà de l’agacement qu’elle provoque, une mauvaise formulation peut obscurcir un texte. Philippe Donati (courriel) a lu avec perplexité dans Le Monde du 10 mai un article intitulé ‘Les seniors satisfaits de leur vie sexuelle’. On y découvrait cette révélation : ‘Avec l’âge, l’absence de plaisir durant un rapport sexuel a tendance à disparaître, mais on ne fait plus l’amour de la même manière.’ Notre lecteur a choisi d’en rire : ‘Vivent les seniors qui ont su faire disparaître l’absence du plaisir et ont donc rétabli celui-ci, grâce à leur expérience de la chose, sans doute !’

Une mauvaise connaissance de l’anglais peut conduire à des phrases étranges. Dans Le Monde du 21 avril, Patrick Comoy (courriel) a appris avec étonnement que le roi du Népal avait ‘appointé des cabinets issus des partis démocratiques’. Il nous signale que si to appoint signifie nommer, engager, le verbe ‘appointer’ en français veut dire payer, rétribuer.

Plus grave, ce sous-titre d’interview, dans Le Monde daté 15-16 janvier, qu’avait relevé Michel Loyer (Paris). On y attribuait à un politologue palestinien cette affirmation curieuse : ‘Ariel Sharon aura peu fait, peu promis, mais énormément réalisé.’ Notre lecteur s’est demandé si réaliser n’était plus faire, et si l’on pouvait réaliser sans faire… Puis il a trouvé l’explication. L’entretien s’étant déroulé en anglais, le verbe to realize, employé dans le sens de comprendre, avait été improprement traduit par réaliser. D’où cet ‘énormément réalisé’ au lieu de ‘beaucoup compris’…

Des lecteurs se plaignent de nouveaux tics de langage, liés à des anglicismes abusifs. Il n’y a aucune raison, par exemple, de parler d’addiction’ (à une drogue, à la télévision…), alors que le mot ‘dépendance’ correspond parfaitement à ce qu’on veut dire. Certains termes étrangers qui n’ont pas d’équivalents exacts en français enrichissent la langue, alors que les autres l’appauvrissent. Oui à l’inventivité, non au snobisme. Des anglicismes malheureux provoquent d’ailleurs des confusions. ‘Supporter’ une équipe de football n’a pas le même sens que la soutenir. Ou alors c’est qu’elle est très mauvaise…

Les nouveaux tics de langage ne sont pas forcément d’origine anglo-saxonne. A propos des chiens dangereux, on apprenait dans Le Monde du 14 juin que ‘les préfets pourront prendre (…) toutes les mesures nécessaires, y compris l’euthanasie immédiate’.

Hélène Cailler (courriel) a raison de protester contre cette formulation. ‘Combien de temps faudra-t-il supporter le terme ‘euthanasie’ en parlant des chiens qui ont blessé parfois mortellement des enfants ? Ces chiens ne sont pas malades ou souffrants, il ne s’agit pas d’abréger leur vie intolérable, mais de s’en débarrasser afin qu’ils ne présentent plus de danger.’

Le Monde n’est pas obligé de suivre toutes les modes langagières. Surtout quand elles portent atteinte au sens des mots.’